Je ne crois pas qu’il me soit difficile de prouver que le luxe moderne de l’Europe est une des principales causes qui rendent l’esclavage pénible et doux tout à-la-fois, et que c’est par cette raison que les peuples ne sentent pas avec assez de force le besoin de secouer entièrement le joug. Je n’ai pas l’intention de discuter ici la question de savoir si on doit entretenir le luxe ou le proscrire ; elle a été épuisée par tous les bons auteurs qui l’ont traitée. Tout luxe privé et excessif suppose une monstrueuse inégalité de richesses parmi les citoyens. La classe des riches est nécessairement aussi orgueilleuse que celle des pauvres est misérable et avilie, et toutes deux sont également très-corrompues. Ainsi, en admettant cette inégalité, il serait très-inutile, et peut-être dangereux, de vouloir proscrire le luxe tout-à-fait, et il n’y a d’autre remède contre lui, que de tâcher de le diriger par des voies moins criminelles, vers un but moins coupable. J’essaierai de prouver dans ce chapitre, que le luxe étant une conséquence très naturelle de la noblesse héréditaire sous la tyrannie, il est aussi lui-même une de ses bases principales. Partout où le luxe est porté à l’excès, il ne peut y avoir de liberté durable ; et si la liberté existe dans un état, et que le luxe vienne à s’y introduire, il ne tardera pas à la corrompre, et par conséquent à la détruire.