En outre, sous l’impulsion de Georges Mornay, l’illustration, jusque-là accessoire, devint la règle d’or. Ce choix —et la sympathie du personnage— permirent à Mornay d’attirer les plus grands dessinateurs de l’époque, certains venant de la mode ou de la publicité. Parmi eux, il faut citer en premier George Barbier : on doit à cet artiste de la mode et du livre de luxe l’illustration de cinq volumes des Beaux livres, dont quatre titres d’Henri de Régnier et le splendide Roman de la Momie de Th. Gautier. Mais aussi : Louis Jou, Pierre Falké, Sylvain Sauvage, Henry Chapront, Pierre Noël, Hermann Paul, Guy Arnoux, Lucien Boucher, Umberto Brunelleschi, Berthold Mann, et d’autres mirent leur art au service de la collection et font aujourd’hui le succès de ces illustrés modernes.
Entre tous les titres publiés, le chef d’œuvre incontestable de Mornay est le Maria Chapdelaine de Clarence Gagnon : l’artiste-peintre a réalisé pas moins de 54 gouaches minutieuses (qu’on pense à leur taille !) pour l’illustration du roman de Louis Hémon : mis en chantier en 1929, le livre ne parut qu’en 1933 à 2000 exemplaires.
Plusieurs éditeurs des années 1920-30 furent directement inspirées par la formule de Mornay : « La Collection française » d'Henri Cyral, « Les Beaux romans » d'Henri Jonquières, ou encore les « Éditions du Trianon » en témoignent. Il est donc amplement justifié, aujourd'hui, que les éditions Mornay soient devenus emblématiques de la qualité du livre moderne illustré français « semi-précieux » (on disait « demi-luxe ») de la période « Art Déco ».
Âgé et malade, G. Mornay céda sa maison à Valère Bachmann, le fils d’A. Mornay, mais le décès prématuré de celui-ci au combat, en 1940, donna un coup d’arrêt brutal. Les éditions Mornay eurent encore un repreneur tardif : ce dernier (« un jeune couple d’éditeurs », cf. l’art. de R. Hesse cité en bibliographie) créa en 1946 une nouvelle collection intitulée « La Sirène », qu’on s’accorde généralement, peut-être injustement compte tenu de la période, à trouver de qualité moindre. Le dernier titre parut en 1949 : à croire qu’avec la guerre, les choses avaient changé et que les amateurs des Beaux livres s’étaient éloignés de Paris...
Bibliographie et références
- L. Carteret, Le Trésor du Bibliophile. Livres illustrés modernes 1875-1945, III, p. 256 et suivantes (Sur « Les Beaux Livres »).
- Article de Raymond Hesse paru in « Le Portique », n°4 (1946) publié suite à la reprise des éditions Mornay par « deux jeunes éditeurs ». Son contenu est reproduit en ligne sur le site de la Librairie L’Oiseau-Lire à Mons (Belgique)[1].
- Article sur Maria Chapdelaine in L’Illustration, numéro spécial de noël 1931 (n° 4631).
- Thèse « La peinture d'un texte: L'illustration de "Maria Chapdelaine" par Clarence Gagnon » de Gilles Lacombe (1990), disponible en ligne ici.